Redonner envie aux citoyens de sortir de chez eux pour se réapproprier l’espace public. C’est cette mission délicate que s’est fixée Thomas Heatherwick, à l’heure où le digital permet d’accomplir les activités les plus diverses depuis son canapé, qu’il s’agisse de shopping, de rencontres ou d’éducation. S’appuyant sur une vision avant-gardiste de l’architecture, le designer a d’ores et déjà illustré avec brio sa philosophie rompant avec les critères établis. Non sans susciter quelques controverses.
Une certaine vision de l’architecture
A 48 ans, le «designer le plus tendance du moment », comme l’a écrit Vanity Fair, peut se targuer de nombreuses et éblouissantes réussites. Ses œuvres, présentes sur presque tous les continents, se distinguent par leur parti-pris audacieux, innovant, à la limite, parfois, du surréalisme. Il suffit pour en juger de contempler le Musée d’art contemporain du Cap, le Learning Hub de Singapour ou la fondation Fosun de Shanghai pour se rendre compte à quel point l’architecture peut refléter une conception bien déterminée de la vie.
Rebuté par le manque d’âme caractérisant les constructions des années 1970 et 1980, Thomas Heatherwick se prend de passion, dès son plus jeune âge, pour l’architecture. Pas seulement pour l’art de construire un bâtiment, mais aussi, et surtout, pour son impact déterminant sur la vie quotidienne. Diplômé de l’Ecole polytechnique de Manchester puis du prestigieux Royal College of Art, Heatherwick fait dans ses années d’apprentissage la rencontre déterminante de Terence Conran, célèbre designer d’outre-Manche maintes fois récompensé pour ses travaux. Une amitié naitra, qui va façonner la carrière du jeune architecte.
Le design en 3 dimensions
Avec Conran comme mentor, le jeune diplômé fonde en 1994 son propre cabinet, Heatherwick Studio, basé à Londres. Il y pratique toutes sortes de disciplines, qu’il tâche de réunir en une seule : ingénierie, architecture, arts décoratifs, sculpture, ferronnerie, stylisme et photographie constituent ce qu’il nomme le « design en 3D ».
Contrairement aux autres architectes qui se caractérisent par un style personnel, Thomas Heatherwick s’applique à innover et à surprendre à chaque projet. Lorsqu’un appel d’offre est lancé, l’architecte se compare à un enquêteur devant résoudre un crime : la réponse existe déjà, il suffit simplement de la trouver. Il faut pour cela étudier toutes les solutions possibles, écarter une à une les plus médiocres pour ne garder, au final, que la plus satisfaisante. Cette manière d’aborder l’architecture a permis de donner vie à des créations aussi variées que le pavillon anglais de l’Exposition Universelle de Shanghai en 2010, la transformation d’anciens silos à grains en hôtel de luxe au Cap, ou encore l’aménagement du nouvel opéra philharmonique de New-York.
Échecs et succès du « Da Vinci » moderne
Inlassablement, Thomas Heatherwick cumule les réalisations, obtient de nouveaux projets, reçoit hommages et prix, tout en participant à de nombreuses conférences, où il prêche son amour de l’architecture avec la conviction d’un évangéliste. Salué par Terence Conran comme étant « le Leonard de Vinci des temps modernes », cet artiste multidisciplinaire apporte actuellement la dernière touche à cinq projets majeurs : les bureaux de Google à Londres et à Mountain View, un complexe multiusage à Shanghai ainsi qu’un espace commercial dans le quartier de King’s Cross, à Londres. Mais le plus important demeure « le Vaisseau », une structure en alvéoles culminant à 46 mètres de haut dans le ciel new-yorkais. Ses 154 escaliers, reliant 80 plateformes, offriront une promenade ponctuée de jardins et de fontaines.
De quoi faire oublier la déconvenue du Quai 55, un parc novateur qui devait se situer lui aussi à New-York, sur l’Hudson River. Après un feu vert des autorités municipales, le projet a été attaqué de toutes parts, entraînant une bataille judiciaire et une annulation en septembre 2017. Le Garden Bridge de Londres, qui devait traverser la Tamise, constitue lui aussi une déception majeure pour l’architecte. Le projet, qui avait été validé par la ville, a dû être annulé en raison du dépassement catastrophique du budget, entraînant dans la foulée une perte de plus de 50 millions d’euros d’argent public.
Une époque propice à l’audace
La polémique provoquée par l’annulation du Garden Bridge a libéré la parole des détracteurs de cet architecte un peu trop novateur au goût de certains. Déjà, en 2008, son B of the Bang, sculpture métallique de 56 mètres de haut et hérissée de piques en métal, avait dû être démantelée après qu’un morceau de sa structure se soit détaché, menaçant la sécurité des passants mancuniens. Enfin, les nouveaux bus londoniens, conçus par le studio de Thomas Heatherwick à la demande de Boris Johnson et mis en service en 2012, essuient des critiques à propos de certains défauts de conception.
Des revers qui ne semblent en tout cas pas inquiéter l’architecte, dont le carnet de commandes est rempli pour les prochaines années. Celui qui s’est juré d’insuffler une âme à toutes ses réalisations s’estime encouragé par une nouvelle approche des commanditaires, lassés selon lui du manque de caractère des réalisations passées et privilégiant l’audace et la prise de risque. En cela, Thomas Heatherwick risque fort de devenir l’un des architectes les plus représentatifs de sa génération.