Sacré « meilleur chef du monde », Pierre Gagnaire ne tient pas plus que cela à son titre. Depuis presque un demi-siècle, le chef révéré évolue en marge des carcans de la gastronomie. Portrait de cet esthète de la cuisine.
Pierre Gagnaire voit la cuisine comme un « art de la relation » donnant goût à la vie. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le meilleur chef du monde avoue ne pas aimer ses recettes et ne pas goûter la majorité de ses plats. En marge des conventions de la gastronomie – mot qu’il n’affectionne guère –, Pierre Gagnaire privilégie une cuisine d’ « émotion ».
Un chef auréolé qui crée avec jubilation
Couronné à trois reprises d’une étoile Michelin pour son restaurant parisien, sacré « meilleur chef du monde » par ses pairs, Pierre Gagnaire n’a pas toujours connu le succès. En effet, son premier établissement de Saint-Etienne a fait faillite en 1996. Le chef s’en est bien relevé, et il est aujourd’hui à la tête d’un petit empire de dix restaurants de par le monde. Aujourd’hui âgé de 65 ans, il fait figure de repère pour toute une génération de chefs.
Passionné d’art contemporain, il cherche, invente et entreprend avec jubilation et élégance. Selon lui, « la cuisine, comme la vie, doit avoir de l’allure ! ». Il y a quelques mois, Pierre Gagnaire a fait l’objet d’une exposition au palais de Tokyo, « Le bord des mondes », qui dépeignait au moyen d’un film le processus créatif de la cuisine en tant que poésie éphémère et gustative.
L’esthétique, point d’orgue de la cuisine de Pierre Gagnaire
Pendant de nombreuses années, Pierre Gagnaire se sentait apaisé par le visuel, l’esthétique, et le goût était secondaire. Le goût a aujourd’hui trouvé sa place dans la cuisine du chef. Néanmoins, l’organisation visuelle des plats continue de revêtir une importance considérable, notamment pour un motif technique : la façon dont est dressé un plat est une façon de mettre en scène le goût, la texture, tout ce qui procure une sensation de plénitude gustative.
Pierre Gagnaire est un chef intuitif qui goûte rarement ses plats. Il continue de travailler sans filet, maîtrisant et dépassant certains ratés inévitables. Dans le métier, cette façon de travailler paraît très singulière. Il y a quelques mois, Pierre Gagnaire a lancé sa nouvelle carte, qui compte une trentaine de plats, parmi lesquels le chef en a goûté un tout au plus.
Les restaurants de Pierre Gagnaire sont décorés d’œuvres d’art, notamment celles de David Nash, Richard Serra et Alechinsky. Le chef dit avoir besoin d’être entouré par la beauté, une beauté reposante et rassurante. Il se voit lui-même en créateur d’œuvres éphémères, créant ainsi du souvenir, par exemple pour un enfant mangeant dans son restaurant qui se souviendra à l’âge adulte du plat que lui aura préparé le chef.
La cuisine comme vecteur de communication
De nos jours, la cuisine est très médiatisée. Ayant participé à Top Chef, Pierre Gagnaire reconnaît que la télévision se révèle être un excellent moyen de communication, en termes d’image, et qu’il est important de se positionner dans un monde médiatique devenu incontournable. En dépit de la pression et d’une certaine rudesse inhérente au métier, Pierre Gagnaire espère toujours transmettre aux jeunes cuisiniers de la bienveillance et de la douceur.
Le chef aime à rappeler que la cuisine peut être une arme diplomatique de choix, permettant de vendre des avions, des téléphones, à l’instar de la Corée. La gastronomie espagnole et italienne bénéficie de subventions. En France, les choses commencent à bouger, mais selon Pierre Gagnaire, nous en sommes encore au stade des mots.
A l’approche de son cinquantième anniversaire de cuisine, Pierre Gagnaire porte un regard optimiste sur l’évolution de la gastronomie, les conditions de travail étant meilleures qu’auparavant, et certaines variétés oubliées de produits alimentaires refaisant leur apparition. Le chef vénéré prédit d’ailleurs un âge d’or du légume.