A 84 ans, Fred Forest reste plus que jamais un artiste engagé. Ce pionnier de l’art multimédia qui, dès les années 1970, avait conceptualisé l’Internet et les réseaux sociaux, a toujours occupé une place singulière dans le monde de l’art. Quelques-unes de ses performances seront exposées au centre Pompidou ainsi qu’à la galerie Pact.
Une carrière d’une exceptionnelle richesse
C’est en débutant sa carrière en 1954 comme opérateur dans un standard téléphonique que cet autodidacte a pris conscience de l’influence exercée par les médias sur les citoyens. Le dimanche, l’accroissement spectaculaire du nombre d’appels à une heure bien précise signifiait que l’émission de télévision venait de se terminer. « Pouvoir visualiser ainsi un fait social m’apportait une émotion énorme », avoue l’artiste, qui exerçait en parallèle une activité de peintre et de caricaturiste pour la presse. Poussant toujours plus loin ses réflexions sur une société de communication en plein essor, ses performances s’orientent à la fin des années 1960 vers des happenings participatifs et interactifs.
Le blanc envahit la ville
C’est en 1972 que Fred Forest accède à la notoriété, lorsqu’il décide d’acheter dans plusieurs quotidiens un espace publicitaire entièrement blanc. Intitulé « Space Média », l’encart vierge est présenté au lecteur comme un moyen d’expression totalement libre, l’invitant à le compléter et à le renvoyer au domicile de l’artiste. Celui-ci reçoit plusieurs centaines de réponses, dressant ainsi une fresque participative reflétant les pensées de son temps et annonciatrice des futurs forums qui fleuriront sur Internet.
L’opération est renouvelée à la télévision durant le journal d’Antenne 2, la voix de Fred Forest enjoignant le téléspectateur à se réapproprier cet espace neutre. L’année suivante, l’artiste se rend à la biennale de Sao Paulo, dans un Brésil alors sous le joug de la dictature militaire. Distribuant à la foule des dizaines de pancartes blanches, Fred Forest réussit à dénoncer avec panache la censure étouffant toute liberté d’expression.
Les technologies comme support
Prenant pleinement conscience des bouleversements induits par l’arrivée des nouvelles technologies, Fred Forest représente dans les années 1970 l’artiste visionnaire par excellence. Tous les supports deviennent pour lui le terrain de vastes expérimentations, requérant toujours la participation d’un spectateur placé au centre de l’œuvre. Car son utilisation du téléphone, de la télévision, du fax, du Minitel et de l’informatique va bien au-delà d’une simple fascination pour ces nouveaux territoires à défricher.
Fred Forest, pleinement conscient du pouvoir de plus en plus accru des médias de masse, tient à alerter le citoyen des dérives d’une société de consommation en pleine mutation. Ces réflexions sont théorisées sous la forme de deux mouvements créés en collaboration avec d’autres artistes, le Collectif d’art sociologique et le Manifeste de l’esthétique de la communication. Les années 1990, la démocratisation d’internet constitue pour lui un immense terrain de jeu et une source d’inspiration intarissable.
Artiste résistant
Ayant atteint une renommée internationale, Fred Forest est resté fidèle à ses thèmes de prédilection : démontrer les changements de perception induits par la société de l’information, ainsi que la place prépondérante occupée par les technologies dans la vie quotidienne. Ne voulant en aucun cas se compromettre avec le marché de l’art, Fred Forest a aussi su, tout au long de sa carrière, conserver un esprit critique vis-à-vis des institutions. D’ailleurs, c’est en tant que citoyen militant qu’il ferraille à plusieurs reprises, au cours des années 1990 et 2000, avec le centre Pompidou, accusant à plusieurs reprises le musée de ne pas communiquer au public le montant de ses acquisitions.
C’est pourtant ce même musée qui a proposé à Fred Forest d’organiser cette année une exposition en son honneur, retraçant un parcours d’une richesse extrême. La galerie Pact, elle aussi, exposera certaines œuvres de cet artiste protéiforme, engagé, et qui a su entrevoir avec plusieurs décennies d’avance les évolutions de notre société.