Après quinze mois passés à la tête du ballet de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied a annoncé le 4 février 2016 qu’il quittait son poste. Quelles sont les raisons de son départ précipité ? Sa philosophie et ses convictions n’ont-ils eu d’autres choix que de le pousser à la démission ? Le documentaire La Relève, réalisé par Thierry Demaizière et Alban Teurlai, avait suivi ses premiers pas dans l’institution. La relève est-elle impossible dans cette institution qu’est l’Opéra de Paris ? Portrait d’un homme, fer de lance d’une nouvelle génération de danseurs et d’artistes et qui fut pendant quinze mois le directeur du ballet de l’Opéra de Paris.
Un parcours international
De Bordeaux à New York en passant par les rues de Dakar, Benjamin Millepied a toujours beaucoup voyagé. C’est au Sénégal, très jeune, qu’il apprend à danser avec sa mère professeur de danse contemporaine. Il réalise, par la suite, des stages dans les plus grandes écoles de danse et auprès des plus grands artistes et chorégraphes. Il parfait notamment son apprentissage à l’école de danse du New York City Ballet, puis rencontre Maurice Béjart à l’Opéra de Paris et Jérôme Robbins, chorégraphe de West Side Story. Il devient ensuite le disciple de l’américain et est nommé étoile en 2001 au sein du New York City Ballet. C’est en 2002 qu’il commence sa carrière de chorégraphe. Sa popularité s’étend à partir de 2009, après sa participation au film Black Swan, dans lequel sa compagne, Natalie Portman, interprète le rôle principal. Et après des années passées au New York City Ballet, il décide en 2011 de monter sa propre compagnie de danse et part à Los Angeles.
Le retour du fils prodigue
Benjamin Millepied a 37 ans, en novembre 2014, lorsqu’il est nommé à la tête du ballet de l’Opéra de Paris. Il succède ainsi à Brigitte Lefèvre, qui a dirigé pendant vingt ans ce corps de ballet, réputé comme étant l’un des meilleurs au monde. Le jeune chorégraphe a beaucoup d’idées et une philosophie qui est centrée sur le bien-être des artistes et des danseurs. Il a exposé son opinion et ses intentions dans le documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai, qui l’ont suivi à l’œuvre avec sa nouvelle équipe d’artistes. A peine directeur, Benjamin Millepied a pour mission de mettre en scène un ballet de 33 minutes. Et cette double casquette, à la fois chorégraphe et directeur, est une des premières difficultés rencontrées par Benjamin Millepied, et cela pèsera dans ses choix futurs. En effet, il a annoncé, dans son communiqué de presse daté du 4 février 2016, qu’il préférait démissionner afin de se consacrer pleinement à la création, “à 100%” précise-t-il.
Benjamin Millepied face à une institution
Mais ce n’est pas la seule raison. En arrivant à l’Opéra de Paris, ce jeune chorégraphe, empli d’une culture américaine et défenseur des artistes et des danseurs, s’était donné comme objectif de dépoussiérer l’institution que représente l’Opéra de Paris. Il a tout d’abord été très critique face à ce qu’il appelle « la peur de la hiérarchie ». Il raconte notamment que pendant les répétitions, les danseurs tremblaient en lui parlant.
Cette hiérarchisation des rapports et la constante concurrence font partie du quotidien des danseurs de l’Opéra de Paris. En effet, pendant toute leur carrière, les artistes doivent subir un concours interne qui les place tous en concurrence. Benjamin Millepied a également critiqué l’enseignement de la danse au sein de l’institution. Selon lui, les artistes et leur bien-être doivent être au centre des préoccupations de l’équipe dirigeante. Ce qui semble-t-il n’aurait pas toujours été le cas.
Des choix qui n’ont pas fait l’unanimité ?
Benjamin Millepied a prouvé qu’il voulait changer beaucoup de choses et cela passe aussi par ses choix artistiques. C’est ainsi que pour son premier spectacle, Clear, Loud, Bright, Forward, il a nommé la danseuse métisse, Letizia Galloni, dans le rôle principal de l’étoile. Il explique ce choix en évoquant le rôle subversif et parfois politique de l’art. Et pour continuer à défendre les danseurs que l’on ne voit quasiment jamais sur le devant de la scène, Benjamin Millepied a convoqué le corps de ballet. Ce sont donc les jeunes danseurs, et non pas les étoiles de l’Opéra de Paris, qui ont obtenu les rôles principaux dans son spectacle. Aurait-il reçu des remarques négatives voire des critiques de la part de la direction pour ses choix artistiques ?
Problème de priorité ?
Au cœur de sa philosophie, c’est la notion de plaisir qui prédomine. Benjamin Millepied veut voir du plaisir et de la passion chez ses danseurs, pour qu’à leur tour, ils donnent du plaisir aux spectateurs. Durant ses quinze mois à la tête du ballet, il prend des décisions en faveur des danseurs : il fait changer le parquet du Palais Garnier jugé trop dur pour les articulations des artistes, il embauche un diététicien et aide les danseurs à prendre soin de leur corps. Mais en tant que jeune chorégraphe et jeune directeur, sa priorité est également de mettre à l’honneur de jeunes artistes, compositeurs, stylistes, chefs d’orchestre. Il a notamment mis en place une plateforme, la “3ème scène”, basée sur l’expérimentation artistique, permettant notamment des rencontres inédites entre danse et cinéma.
Ses innovations arrivent-elles trop tôt dans cette institution installée depuis 1830 ? A-t-il voulu aller trop loin ? La nouvelle directrice, l’ancienne étoile Aurélie Dupont, a annoncé lors de sa nomination vouloir suivre les pas de Benjamin Millepied, en ajoutant que le ballet de l’Opéra de Paris est “une compagnie de classique qui doit s’ouvrir sur le monde contemporain et non l’inverse.” Peut-être est-ce là le cœur du problème. La suite dira si l’ancienne étoile saura allier modernité et classique.