OVNI inclassable dans le monde de la haute couture, Amélie Pichard dynamite les codes de ce microcosme depuis dix ans et mise sur un modèle économique lent et responsable, fût-ce au détriment de la rentabilité.
Une créatrice à part
Superficiel, pompeux, décadent, élitiste… Une partie du commun des mortels est tentée de qualifier en ces termes ce qu’elle perçoit du monde de la mode. La haute couture s’est donnée, à dessein, l’image d’un artisanat luxueux et inaccessible, le plus éloigné possible des basses préoccupations du quotidien. Les productions qui en émanent coûtent parfois plusieurs années d’un salaire moyen, sont importables autrement que par des stars en représentation officielle, et les maisons qui les commercialisent ne placent manifestement pas la durabilité au centre de leur communication institutionnelle.
Amélie Pichard, créatrice de mode indépendante, fête cette année les dix ans de sa marque éponyme, avec la ferme intention de dépoussiérer le discours glamour et faussement provocateur de la mode actuelle. Dans la foulée, son modèle économique s’en prend au culte de la croissance à tout va et des startups au développement survitaminé. “La croissance économique insatiable et irresponsable est vulgaire”, annonce-t-elle sur son site lorsqu’elle présente sa démarche.
Un accroc à la mode
“Pichard, c’est le sable collé aux fesses à la mer”, “Pichard, c’est un jambon beurre”, “le monde de Pichard c’est aussi celui des gens à chats”… Ces slogans recueillis auprès des fans de la marque font partie de ceux fièrement arborés sur le site de la créatrice. Ils en disent long sur le décalage entre la philosophie de cette petite compagnie et les têtes d’affiche de la mode médiatique. Amélie Pichard s’amuse avec les codes du glamour, elle rit de l’élégance et du chic de papier glacé.
Bien sûr, les grands noms de la mode savent user de provocation, et une course aux références kitsch, punk ou sexuelles fait rage dans les pages des magazines féminins depuis des années. Mais il manque une chose essentielle à ce déballage de mauvais goût artificiel : la sincérité. Cet étalage de communication criarde et sans substance sent le plan marketing à plein nez et ne se donne même plus la peine de s’en cacher. Elle s’en trouve automatiquement incapable de faire preuve de la moindre autodérision, une preuve d’honnêteté pour un discours décalé, omniprésente chez Amélie Pichard.
Le refus d’une croissance irrationnelle
La particularité de la marque tient également à son approche du business et de la rentabilité, pour le moins inhabituelle. Encore une fois, les valeurs professées avec humour sur le site officiel sont sans équivoque : “Je rêve d’un avenir où nos talents ne seront pas jugés par notre taux de croissance”, « Qu’est-ce qui gagne à grandir hormis un pénis?” Un tel détachement vis à vis d’une expansion à marche forcée, systématiquement recherchée et mise en exergue dans l’économie moderne, fait clairement figure d’exception aujourd’hui.
Amélie Pichard privilégie la durabilité d’un développement mesuré et réfléchi, à l’opposé d’une incitation inconditionnelle à surconsommer. Le respect des valeurs humaines et environnementales doit à son sens primer sur la rentabilité à court-terme. A l’heure de l’obsolescence programmée, la marque propose ainsi de réparer les articles usés possédés par ses clients au lieu de les pousser à en acheter de nouveaux; face à l’hystérie grandissante générée par le black friday, elle repousse le stratagème grossier des soldes et estime vendre ses produits au juste prix, toute l’année.
Amélie Pichard fait souffler un vent de fraîcheur réjouissant sur la mode et le monde de l’entreprise moderne.
Photos : journalduluxe.fr et purepeople.com