Censuré dans ses campagnes de communication par les réseaux sociaux en raison de la nudité présente sur les œuvres partagées, l’office de tourisme de Vienne décide de contre attaquer en provoquant pour ouvrir un débat d’utilité publique : il se sert d’une plateforme de contenus pornos pour diffuser les œuvres de nu.
Trop, c’est trop! À Vienne, les promoteurs de la vie culturelle en ont eu assez de la censure des réseaux sociaux. Alors, ils ont répondu par la provocation. Le point d’achoppement : la nudité. Depuis plusieurs années, les musées tentent de communiquer au sujet de leurs œuvres et de leurs collections à travers les différentes plateformes de réseaux sociaux. Seulement, les algorithmes de Facebook, Instagram ou TikTok n’acceptent pas la nudité… Y compris sur les sculptures et les peintures.
Un sein sans soutien-gorge apparaît sur une gravure ? C’est le blocage immédiat de l’image ! Ce puritanisme 2.0 crée donc un sentiment d’injustice chez les promoteurs d’art. Pour répondre à cette aberration, l’office du tourisme de Vienne décide de faire parler de lui : en octobre 2021, il annonce la diffusion des œuvres de nu des musées de la ville sur une plateforme… Réservée aux adultes ! En effet, grâce à une habile campagne de communication pour attirer l’attention sur ce problème sérieux et récurrent, les responsables de l’office annoncent que des photos et vidéos des peintures, sculptures ou dessins de nus seront accessibles sur la plateforme OnlyFans.
Un grand coup de com pour lancer un débat crucial
Réservée au plus de 18 ans, cette plateforme, née en Angleterre en 2016, propose des contenus érotiques et pornographiques pour plus de 150 millions utilisateurs grâce aux contributions de plus de 1,5 millions de personnes. Son développement s’est d’ailleurs accéléré depuis l’épidémie de Covid-19 et les confinements successifs. En utilisant un nom connu de l’univers des contenus sexuellement explicites, l’office du tourisme viennois ne cherchait pas autre chose que le buzz : souvent irrévérencieux, l’art se marie bien avec la provocation.
Seulement, ce coup d’éclat possède une utilité bien précise, celle d’ouvrir le débat concernant la nudité dans l’art et sa diffusion via les algorithmes des géants du numérique. Il n’est pas difficile de recenser des censures de la part des réseaux sociaux connus au sujet d’œuvres d’art. Par exemple, en 2018, Facebook retoque une image partagée par la maison Rubens à Anvers : il s’agit d’un Christ nu. Comme il est jugé trop impudique, il est censuré. Le musée diffuse alors une vidéo parodique avec deux faux agents du FBI transformés en garde du corps de la pudeur dans les murs de son musée.
En 2019, un autre nu de Rubens est supprimé par Instagram et en juillet 2021, l’Albertina Museum de Vienne voit son compte TikTok suspendu. L’élément déclencheur pour la communication viennoise intervient lorsque Facebook classe en contenu pornographique la Vénus de Willendorf, une statuette vieille de 25 000 ans symbolisant la fertilité par le biais du corps d’une femme nue. Grâce à son coup de communication, des centaines de nouveaux inscrits rejoignent OnlyFans. Pour les récompenser, l’office du tourisme de Vienne offre à ses premiers abonnés sur la plateforme une Vienna City Card pour entrer gratuitement dans l’un de ses musées.
Les artistes s’autocensurent pour plaire aux géants de la tech
Réussissant son pari d’alerter sur le danger qui découle d’une telle censure, Vienne représente plus généralement tout un monde : celui de l’art qui déplore cette nouvelle morale reposant sur des critères immatériels au nom d’un marketing puritain. Lorsque des peintures de Modigliani sont jugées trop explicites, on ne peut s’empêcher de repenser aux censures et polémiques nées lors des siècles précédents quand les artistes essayaient de combattre la morale trop rigide de leur époque. Qu’est-ce qui a changé depuis si finalement, la censure intervient d’une autre manière ? Déjà, cela peut alerter sur le fameux dépassement de l’homme par la machine qu’il a lui-même créé, une vision maintes fois exploitée par les scénaristes de science-fiction.
De fait, l’algorithme régnant en maître absolu, la censure opère plus pernicieusement une autocensure sur de nombreux jeunes artistes. Lorsqu’ils créent des contenus, ces derniers ne peuvent s’empêcher de penser au moyen de les relayer ensuite : certains reconnaissent déjà s’interdire de montrer du nu par crainte de ne pouvoir se servir des réseaux sociaux pour les promouvoir ensuite. Resté discret sur la question, Facebook ne semble pas vouloir bouger pour l’heure en ce qui concerne sa stratégie et ses règles. En attendant, Modigliani et Rubens sont hébergés sur des plateformes, cohabitant avec des vidéos pornos tournées dans le monde entier.
Sources des photos : lexpress.fr