Le chercheur François Pachet a rejoint cet été les rangs de Spotify. Son arrivée chez le géant du streaming a été annoncée en grandes pompes. Et pour cause. François Pachet, 53 ans, est une figure majeure de la recherche. Ses travaux, qui mêlent informatique et musicologie, ont été salués pour leur audace et leur caractère novateur. Iconoclaste, il n’est pas seulement un scientifique parcourant les laboratoires : c’est aussi un guitariste de jazz et un écrivain, doublé d’un infatigable conférencier. Retour sur une carrière pleine de rythme ainsi que sur les perspectives ouvertes par son arrivée au sein de Spotify.
Spécialiste de l’intelligence artificielle
Après avoir fréquenté les bancs du lycée Montaigne, François Pachet effectue une classe préparatoire Maths spé avant de rejoindre l’École des Ponts ParisTech (l’École nationale des ponts et chaussées). Il en sort diplômé en génie civil et en informatique, puis part enseigner à l’université de Kuala Lumpur. Il rejoint par la suite les rangs de l’université Pierre et Marie Curie, où il obtient un doctorat en intelligence artificielle. Il étudie ensuite cette même discipline à Montréal, avant de rejoindre la division recherche musicale de Sony, en 1997. Il fonde à la demande du conglomérat le Sony Computer Science Laboratory de Paris où, à la tête d’une équipe de dix chercheurs, il explore et crée de nouveaux liens entre musique et informatique, multipliant les inventions et les expérimentations.
Comprendre la musique grâce à des machines
On lui doit ainsi les Flow Machines, capables de générer de la musique inédite en s’inspirant du style d’un musicien ou d’un groupe. Il suffit de rentrer dans la machine les partitions d’un artiste pour que le programme en analyse les signes distinctifs et les utilise dans une improvisation qui sonnera « à la manière de ». Ce sont ainsi les Beatles qui ont servi d’inspiration à la machine pour créer le morceau Daddy’s Car, premier titre entièrement composé par un ordinateur.
L’exploit est loin d’être anecdotique : en effectuant une telle démarche, François Pachet et son équipe ont permis d’explorer des aspects méconnus du processus créatif, tout en constituant une source d’inspiration pour un artiste. Quel musicien ne rêverait-il pas de découvrir, après avoir rentré ses partitions dans la machine, des facettes inédites de son propre talent, mises en lumière par un simple programme informatique ? De manière plus ludique, les Flow Machines permettent aussi de croiser les sources, donnant la possibilité de créer un morceau musicalement proche, par exemple, de Metallica, avec des paroles empruntées à Bob Dylan, sur une structure de jazz manouche.
Informaticien et musicien
Les travaux de François Pachet ont aussi donné lieu à la mise au point de nouveaux algorithmes d’analyse musicale, mais c’est son Continuator qui a sans aucun doute le plus attiré l’attention. Cette invention rapproche encore plus la machine du musicien : ce dernier peut entamer une série de notes, puis s’arrêter brusquement : le Continuator prendra alors immédiatement la suite, improvisant jusqu’à ce que l’interprète reprenne les commandes, engageant un dialogue entre le programme et le musicien. Le jazzman Bernard Lubat s’est d’ailleurs plusieurs fois produit en concert accompagné de François Pachet aux manettes de l’appareil.
Car le chercheur n’hésite pas à monter sur scène, que ce soit pour démontrer les capacités de ses inventions ou, plus simplement, pour le plaisir. Le résultat de ses collaborations est disponible sous la forme de deux albums, l’un de jazz, l’autre orienté pop musique. C’est donc une personnalité bouillonnante qui a rejoint les rangs de Spotify, le communiqué de presse faisant état d’une mission axée sur « le développement d’outils pour aider les artistes dans leur processus créatif ».
De nouvelles perspectives pour Spotify
Quelle sera la teneur des recherches dans ce nouveau Creator Technology Research Lab parisien ? Armé de ses connaissances, François Pachet devrait en toute logique poursuivre et perfectionner ses travaux de création musicale par une machine. Les progrès réalisés soulèvent la question des tâches pouvant être déléguées à une forme d’intelligence artificielle. Pas question, pour le moment, de créer des tubes, mais le procédé semble suffisamment au point pour élaborer des morceaux dédiés à la relaxation ou à la musique d’ambiance. Une mine d’or pour Spotify, qui pourrait ainsi empocher tous les bénéfices sans avoir à rémunérer d’artiste, économisant ainsi des millions d’euros de royalties.
Le leader du streaming musical, qui compte plus de 140 millions d’utilisateurs, semble bien décidé à jouer la carte de l’intelligence artificielle : la plateforme a racheté en mai dernier Niland, une start-up française qui s’est illustrée dans le machine learning. 2018 sera donc, pour le géant suédois, placé sous le signe de l’IA.