Ai Weiwei est un ovni du monde des arts. Cinéaste de formation, c’est un artiste complet. A la fois architecte, sculpteur, photographe et performer, Ai Weiwei est aussi commissaire d’exposition. Mégalomane et subversif, Ai Weiwei est en quelque sorte le Jeff Koons asiatique. Il a réalisé avec ses équipes des installations démesurées, telles que le désormais célèbre Sunflower Seeds, un tapis de quelques 100 millions de graines de tournesol en porcelaine réalisées et peintes à la main disposées sur le sol et piétinées par les visiteurs. Le but de cette installation est d’interroger le phénomène « Made in China ».
Mais Ai Weiwei est surtout connu pour ses prises de position tant en Chine qu’à l’étranger. Son dernier combat est de mettre en lumière la détresse des migrants traversant la Méditerranée à la recherche de sécurité dans notre vieille Europe, et sur la tragédie que représentent les 10.000 personnes qui ont trouvé la mort ces deux dernières années au large de l’UE.
Ai Weiwei, un dissident dans l’âme
La dissidence, Ai Weiwei l’a dans le sang. Son père, le poète Ai Qing, était l’un des plus grands auteurs de la Chine contemporaine, mais aussi un dissident au pouvoir de Pékin lors de la révolution culturelle. Considéré comme « ennemi du peuple », Ai Qing est soumis à une « rééducation politique, tandis que ses enfants (dont Ai Wei Wei) sont envoyés en camp de travail et de rééducation. C’est sans doute cette période qui a forgé le personnage d’opposant d’Ai Weiwei. Car l’artiste est avant tout un activiste politique.
Blogueur engagé, il multiplie les symboles forts d’opposition au pouvoir et de promotion des droits humains et de la liberté d’expression, se prenant par exemple en photo faisant un doigt d’honneur sur la place Tien An Men ou brisant délibérément un vase Han pour dénoncer « l’effacement » par le régime chinois d’une partie de son histoire.
Il est également l’un des signataires de la Charte 08, un document signé par plus de 300 intellectuels chinois pour demander une réforme démocratique en Chine.
Mais ses prises de positions lui ont coûté cher. En 2011, Ai Weiwei est arrêté, officiellement pour évasion fiscale. Il sera enfermé dans un lieu tenu secret durant 81 jours. Il devra attendre juillet 2015 pour récupérer son passeport chinois et pouvoir ainsi quitter le pays et rejoindre sa famille établie en Allemagne.
Ai Weiwei veut défendre des migrants
C’est sans doute cette période chaotique de son histoire et l’attente interminable de l’exil qui ont sensibilisé Ai Weiwei à ce nouveau combat. Depuis son arrivée en Europe, il se rend régulièrement à Lesbos pour venir en aide aux rescapés de la traversée de la Méditerranée. Mais son action ne se limite pas à s’afficher publiquement sur les plages grecques. Il mène également de nombreuses actions de sensibilisation ou de protestation. A Berlin par exemple, à l’occasion de la Berlinale, il distribue aux festivaliers des couvertures de survie, les mêmes qui sont utilisées par les bénévoles pour réchauffer les réfugiés à peine débarqués sur les côtes, souvent fortement affaiblis. Toujours à Berlin, il a dernièrement recouvert les colonnes du Konzerthaus de gilets de sauvetage orange fluo provenant des îles grecques.
Plus tôt, il avait créé la polémique en diffusant un cliché sur lequel il simulait sa propre mort dans la même position que le petit Aylan. En République tchèque, un pays plutôt hostile à l’accueil de migrants, il recouvre des statues de bronze de couvertures de survie. Au Danemark, il va jusqu’à annuler deux expositions et faire retirer ses œuvres pour protester contre une loi autorisant la confiscation des biens des migrants.
La tentation du marketing facile
Certains voudraient voir en Ai Weiwei un artiste dépassé, surfant sur le pathos de l’actualité à des fins de marketing. Il fut notamment vivement critiqué pour son exposition au Bon Marché qui, forte de son succès, a tout de même été prolongée jusqu’au 15 mars. Dans ce temple de la consommation pour le moins élitiste, il expose des sculptures d’animaux mystiques faites de papier, de bambous et de soie. Rien de bien subversif en soi, si ce n’est les quelques symboles cachés dans les formes animales et rappelant sa détention en Chine (une caméra de surveillance, une paire de menottes, un passeport).
Au delà des polémiques et des critiques que peuvent susciter les œuvres de l’artiste chinois, Ai Weiwei est néanmoins parvenu à rendre l’art contemporain tangible, utile, accessible, presque populaire. Tout le monde comprend aisément le message que veut faire passer Ai Weiwei à Berlin ou en République tchèque. C’est certainement là l’une des clés de son succès !